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Egalisation - Le mixage.

1 janv. 1995 - par Franck ERNOULD
Dans ce deuxieme volet de notre série "L'égalisation", nous parlerons mixage : comment notre oreille réagit aux mélanges de sons, les différentes représentations et analyses de spectre, faut-il rajouter ou enlever des fréquences.... Tout un programme !

On le sait, notre oreille n'a rien du capteur idéal. Cet article nous donne l'occasion de lever le voile sur un curieux phénomène, appelé "effet de masque". L'exemple "de laboratoire" consiste à concocter un mélange de signaux (tiens, tiens...) de fréquences assez proches. Dès que l'un de ces signaux "dépasse" les autres, il les masque plus ou moins : autrement dit, les autres sons n'émergent plus, ils sont perçus comme bien plus faibles qu'ils ne sont en réalité (voir schéma), voire plus perçus du tout ! Ce phénomène est bien évidemment pris en compte par tous les systèmes audio de réduction de débit de données. Ce qu'il faut en retenir en pratique, c'est que notre oreille n'a vraiment rien de cet appareil linéaire de mesure de spectre qu'est un analyseur audio...
Analyse de spectre
    Un analyseur de spectre est un appareil de visualisation possédant une batterie de filtres centrés (s'il est du modèle "tiers d'octave") sur 25, 31.5, 40, 50, 63, 80, 100, 125, 160, 200 ...Hz (jusqu'à 20 kHz). Il mesure le niveau pour chacune de ces bandes de fréquences, puis l'affiche sous la forme d'une colonne lumineuse. Cet outil n'a rien du "dispositif miracle à faire les mixages qui tuent" : pourtant, il est d'une aide précieuse. Le fabricant de consoles MCI l'avait intégré dans ses modèles JH-600 : les vingt premiers VU-mètres à plasma étaient alors régis par un circuit spécifique, qui leur permettait d'afficher le spectre du signal des généraux. Très bluffant !
    Pourquoi évoquons-nous ici cet appareil de mesure ? Parce que d'une part,sa façon de représenter un son est universellement employée. D'autre part, il suffit d'examiner cette représentation pour déceler un creux dans les médiums ou un excès dans les graves - bref, les défauts dont un mixage peut être affecté...
    Nous avons tenté une représentation très simplifiée (donc forcément inexacte) de l'avancement d'un mixage. Au début, il n'y a que la grosse caisse, la caisse claire et les cymbales : pas de problème, on entend tout ! Lorsqu'on fait entrer la basse et les toms, des conflits peuvent déjà apparaître : grosse caisse/graves de la basse, toms et aigus de la basse... Et plus on fait entrer d'éléments, plus ceux-ci peuvent être amenés à se masquer l'un l'autre... L'égalisation servira donc à "tailler dans le vif", de façon à ce que chaque son puisse émerger, afin d'être perçu par l'oreille. Lorsque deux instruments jouent la même partie (donc les mêmes notes), c'est sur les harmoniques qu'il faudra jouer : faire ressortir les partiels caractéristiques d'un piano électrique, par exemple, par rapport à une guitare. On est parfois amené à réaliser des corrections assez "bizarres" dans l'absolu, mais qui fonctionnent très bien dans un contexte donné. Voilà pourquoi des sons peuvent paraître tout riquiqui écoutés seuls, mais trouver parfaitement leur place. Le meilleur exemple : les choeurs féminins de "Dark Side", souvent enregistrés avec deux micros dont un hors phase et sommés en mono, ou le solo de saxophone de "Money" ! En Solo, imaginez le résultat, pourtant, avec les 16 autres pistes, elles "passent" admirablement. À l'opposé, imaginez le désordre auditif lorsque vous mélangerez une demi-douzaine de timbres que vous aurez amoureusement enrichis en les corrigeant l'un après l'autre en mode Solo, ajoutant des aigus par ici, des graves par là... Pensez "efficace" !
    Prise de proximité
      L'utilisation extensive des correcteurs est un phénomène typique des musiques multipistes. En classique, ou au bon vieux temps des prises directes d'instruments acoustiques (jazz ou musique de film des années 50), l'ingénieur n'avait que deux pistes à sa disposition, et relativement peu de micros : la balance devait donc se faire "acoustiquement", avant l'enregistrement - il n'y avait même pas de mixage à proprement parler. Les micros étaient placés assez loin de l'orchestre, et, en big band, ce sont les instrumentistes eux-mêmes qui se rapprochaient (pieds nus pour ne pas faire de bruit) pour que leurs solos passent "devant" l'orchestre, puis allaient se rasseoir dans le rang une fois leur tour passé.
      Après tout, le timbre des instruments acoustiques résulte de centaines d'années d'évolution : ceux qui les fabriquent les jugent en grandeur réelle, de loin, dans des salles, avec d'autres instruments. Un orchestre classique de 120 musiciens, installé dans une bonne acoustique, peut donc être capté avec deux micros, placés à cinq ou dix mètres de distance sans que rien ne se couvre : le compositeur y a veillé lors de l'orchestration, le chef d'orchestre donne ses indications, et même la disposition des musiciens répond à des critères acoustiques. Ce n'est pas pour rien que les cuivres ou les percussions sont tout au fond, alors que les cordes, moins puissantes, sont au premier plan...
      Imaginez à présent qu'on capte le même orchestre avec une quarantaine de micros placés tout près des instrumentistes, puis qu'on mélange le tout sur une console. Rien ne va plus, puisque chaque micro capte un timbre "proche", très différent de celui qu'on entend à cinq mètres de distance, avec en sus des bruits parasites, et une dynamique d'enfer. Il faut alors faire cohabiter tout ce beau monde, en corrigeant par-ci, ajoutant de la réverbe par là (un aspect que nous ne pouvons évoquer dans cette série d'articles, mais qui est aussi d'une grande aide au mix)... Résultat : un orchestre symphonique "Dolby Stereo" hyper-réaliste, plus large que nature, mais complètement artificiel !
      Plus généralement, cette situation est familière en mixage : mélanger des pistes enregistrées avec des instruments dont les timbres qui n'ont jamais été conçus pour sonner ensemble. Ne parlons même pas des synthétiseurs ! L'arrangement est évidemment un facteur primordial : mixer un morceau mal arrangé est une galère sans nom, tous les ingénieurs du son vous le diront. Il n'est alors pas rare de dégraisser dans le vif, en supprimant carrément tel ou tel instrument lors de tel ou tel passage... On ne peut pas toujours tout faire passer ! Il est inutile de vouloir faire entendre simultanément Piano Fender et guitare Fender "claire", ou deux guitares de sons voisins jouant ensemble - ou alors, en en positionnant une à gauche, une à droite ("Money", dans "Dark Side of the Moon") - et tant pis pour ceux qui persistent à écouter en mono. En revanche, si les deux instruments alternent, l'effet peut être merveilleux. Écoutez le début de "Breathe" (vers 1'20)...
      "Positive EQ"
        Pour beucoup de home studistes, un égaliseur ne sert qu'à ajouter des fréquences. Peu songent à explorer le secteur marqué "-". C'est un tort ! Si vous êtes confronté au problème de faire "passer" une voix par-dessus une nappe de synthé, vous songez d'abord à pousser le niveau de la voix, à la comprimer, à lui ajouter du haut-médium... Pourquoi ne pas, au contraire, enlever de la substance à la nappe de synthé, justement dans la région où elle entre en conflit avec la voix ?
        Après tout, à la préhistoire des consoles, les égaliseurs étaient passifs : ils ne pouvaient qu'enlever du signal, on les considérait un peu comme des "nettoyeurs" - une démarche récemment reprise par Manley dans sa VoiceBox. L'apparition du "Positive EQ", c'est à dire le fait d'ajouter du gain à telle ou telle fréquence à l'aide d'un passe-bande, a fait franchir un grand pas dans la prise de son et plus encore au mixage. C'est cette technique qui allait faire les beaux jours du Disco des années 70. Il faut dire que le problème n'était pas simple, car il fallait concilier à l'époque une rythmique particulièrement riche, c'est à dire batterie, percussions, basse, piano acoustique ET électrique, souvent deux guitares électriques, le tout copieusement assaisonné d'orchestrations presque symphoniques à base de cordes, de cuivres, de choeurs etc. Pour démêler cet écheveau sonore - et tant qu'à faire, mettre en valeur les voix principales- , on a beaucoup utilisé cette façon d'égaliser pour faire ressortir la partie la plus caractéristique d'un instrument, une signature qui permettra de l'entendre une fois rentré dans le rang.
        L'ennui c'est que la méthode est inapplicable à des musiques plus dépouillées, qui demandent au contraire que chaque élément ait son existence propre, et donc un spectre qui semble naturel (même s'il s'agit d'une illusion !). Or si une "pointe" à telle ou telle fréquence permet parfois de donner un peu de caractère à un son, c'est parfois plutôt avec une atténuation discrète sur la bonne fréquence que l'on arrive à l'élargir et même l'éclaircir. Pour prendre un exemple, une voix de femme très tendue dans l'aigu est souvent synonyme d'excès dans les médiums (soit vers environ 2 kHz), ce que l'oreille peut aussi interpréter comme un manque d'aigus et de graves. Il suffit pourtant d'une petite égalisation paramétrique "serrée" sur la fréquence gênante pour voir le spectre de la voix reprendre des couleurs... D'ailleurs, écoutez "Daftendirekt" dans "HomeWork", de Daft Punk, pour entendre une apparition progressive des fréquences caractéristiques d'une voix !
        Dans notre prochain volet, nous envisagerons les relations (complexes) entre compression et égalisation : du masquage temporel à la compression multibande, exemples à l'appui...
        Notes
          Les Paramétriques

          Sans tomber dans la généralisation à outrance, l'utilisation d'égaliseurs paramétriques obéit à quelques règles empiriques, surtout si l'on tient à conserver une sensation de naturel ou d'équilibre spectral dans le son. Car quel que soit le style de musique traité, cet équilibre est indispensable pour une écoute qui n'induise pas une fatigue voir un rejet par l'oreille, organe plutôt tatillon si l'en est...
          De ce point de vue le réglage de la largeur de la bande (Q) d'un égaliseur paramétrique va s'avérer critique, mais de façon différente selon que l'on travaille en atténuation ou en accentuation des fréquences visées. Toute atténuation sur une large bande de fréquence par exemple (valeur de Q faible), devra se faire sur la pointe des pieds, car un "trou" béant dans l'éventail d'harmoniques est immédiatement perçu par l'oreille comme anti-naturel.. En revanche en resserrant la bande on pourra atténuer "chirurgicalement" une fréquence envahissante sans pour autant éveiller la méfiance de tympans avisés.
          En matière d'accentuation c'est tout à fait l'inverse : l'amplification musclée d'une portion large et bien choisie du spectre sera plutôt mieux acceptée que sur une bande très serrée, où là encore l'oreille risque de tiquer. La chose peut aisément s'expliquer par un détour au pays des "vrais" sons (eh oui cela existe, le réveil matin par exemple...) .En temps normal une accentuation sur une large bande de spectre est équivalente à une atténuation des graves et des aigus comme cela peut arriver en s'éloignant physiquement d'une source. En revanche une harmonique sortant démesurément du lot suite à un traitement avec un paramétrique n'a pas vraiment d'équivalent dans la réalité à part peut-être l'oreille collée à un tuyau, une lutherie ratée, ou simplement de l'acoustique d'une pièce impropre à la musique...


          Anecdote

          Petite anecdote vécue qui illustre le rôle artistique parfois important des égalisations. Début d'une séance d'enregistrement en studio, le musicien fait écouter à l'ingénieur une K7 de la version "maquette" du titre que l'on s'apprête à enregistrer. Il en ressort immédiatement que c'est l'énorme son de basse qui constitue le pilier du morceau, et qui détermine en toute l'atmosphère. Après branchement des divers expandeurs, s'ensuit le réglage individuel de tous les sons avant enregistrement sur le multipiste, et là, surprise, le fameux son de basse n'est qu'un filet aigrelet, au timbre plus proche d'un hautbois que de celui d'un Moog ! Perplexité, vérification des câbles, puis enfin une discussion qui révèle que le son "magique" de basse de la maquette a été obtenu grâce à l'égaliseur d'une console numérique, avec des réglages totalement outranciers, autant dire impossibles à reproduire sur une console classique ! Car tous les égaliseurs ne sont pas interchangeables, et tout équipement poussé dans ces retranchements va donc laisser son "empreinte" unique sur le son... pour le meilleur ou pour le pire ! Il vaut donc mieux lorsque c'est possible, enregistrer le son avec son égalisation chaque fois que celle-ci est déterminante pour le caractère du morceau. En revanche il reste évident qu'il vaut mieux se garder de tailler à la hache dans le spectre d'un son à la prise, tant que l'on n'est pas encore sûr le l'échafaudage sonore final...



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